La déconstruction du citoyen a conduit la Martinique à l’impasse

 La déconstruction du citoyen a conduit la Martinique à l’impasse

On est tous inquiets de l’avenir économique, celui de notre jeunesse, celui de la Martinique dans la France et dans son environnement. Beaucoup de questions peu de réponses : c’est l’impasse. Les contradictions permanentes – selon lesquelles les autonomistes ne veulent pas de l’autonomie, les indépendantistes ne sont pas pour l’indépendance, les députés refusent d’être ministres, les anti–assimilationnistes proclamés se révèlent être de parfaits assimilationnistes -, ont eu pour résultat la déconstruction du citoyen martiniquais.

Aucun élu ne veut se dire Français mais tous veulent voter la loi française et parfois la dicter : pléthore de candidats pour un électorat qui s’est auto-asséché. Ainsi depuis 1981, en 40 années d’ouverture de la part de l’Etat et de mandatures parlementaires, les mots « autonomie » et « indépendance » n’ont pas été prononcés une seule fois dans les palais nationaux.
Par ailleurs, depuis le moratoire le principal parti autonomiste a voté à deux reprises contre l’augmentation des compétences. A force, ces paradoxes ont anesthésié la volonté populaire et formé les électeurs à désigner des élus qui portent des discours totalement opposés à leurs comportements. Ces électeurs ont donc été conduits puis habitués à émettre les votes qu’on attend d’eux, c’est-à-dire des votes qui n’ont pas de sens : désigner pour les représenter des hommes et femmes qui portent exactement le contraire de leurs convictions.

Avec une seule boussole, le clientélisme qui est florissant en temps de prospérité et en panne aux jours d’infortune, l’électeur martiniquais a été déconstruit petit à petit. Dès lors, il s’abandonne à des comportements totalement irrationnels qui conviennent aux élus en place, celui qui peut donner : on vote un jour pour Mélenchon et le lendemain pour Marine Le Pen. Il ne s’agit pas d’occurrence ou de contingence mais de résultat, le résultat d’une politique, la politique du faux-semblant.
Ainsi déboussolé et déconstruit, l’électeur est comme frappé de folie de sorte qu’aux soirs de scrutin plus aucun politologue n’est en mesure de décrypter les résultats des urnes. Les candidats se sont accrochés aux vagues de l’opinion dont aucune n’est vraiment marquée par la vertu : le courant antivax ou le mouvement xénophobe envers les étrangers des îles voisines. Au surplus, peu importe que les élus ne jurent fidélité qu’à des partis locaux ou nationalistes, le Macron bashing et la mélenchonite aigüe « venus du froid » sont reçus comme des aubaines électorales. Tant au premier tour qu’au second, aucune courbette n’est de trop de la part des candidats « nationalistes », aucune concurrence locale inopportune, pour obtenir le label porteur du fleuve NUPES. Ainsi donc, au bout de 70 années de « conscientisation du peuple » dont se vante tant une certaine historienne indépendantiste, il s’agit d’un échec re-ten-ti-ssant.

Les luttes fratricides et les différends de voisinage font le reste, notamment au cours des présentes « législatives ». Ceux du Nord conduisent les candidats proches à se déchirer : proche géographiquement – Ste Marie et Le Lorrain ; proche politiquement – l’un étant pro-Macron, l’autre Macron compatible. Leurs bisbilles sont pain béni pour le porteur du plus petit dénominateur commun, ce dernier étant – pas les autres – de ces indépendantistes jalousement attachés aux apports de la nation française. Le différend du Centre, des proches géographiquement et politiquement s’opposent au Lamentin et au Robert. Ici, un vieux briscard n’accepte pas la promotion d’un jeune avocat présent dans la même équipe municipale, tous deux étant, ce qui ajoute à la sauce, originaires du même quartier du Robert ; là, on est vent debout contre celui qui pourrait refaire surface dans la deuxième ville de Martinique.

Quant au différend du Sud, il oppose deux élus issus de la même matrice politique, le père et le fils, qui mettent au grand jour la vacuité politique d’un parti qui n’a jamais eu d’indépendantiste que le nom, et n’a jamais été autre chose qu’un machin au service d’un homme.
Quoi qu’il en soit, il est indéniable que les démocraties sont à bout de souffle, comme si l’homme occidental, rassasié, en avait épuisé les délices : les ressources matérielles comme celles qui ont trait à la liberté et la solidarité. Il est apparu ce que certains sociologues et philosophes appellent « l’individualisme de masse ». En effet, le vote s’avère par nature incapable de répondre à ces individualismes accumulés qui sont en réalité en opposition, les uns par rapport aux autres. Mais il n’est pas moins incontestable que l’abstention dans les DOM, particulièrement en Martinique, a ses raisons propres ci-dessus rappelées.

De peur de se heurter aux vents portés par les minoritaires qui détiennent tous les pouvoirs, il n’existe pas en Martinique de représentants pour ceux qui voudraient s’opposer à la politique populiste des antivax, de la « mélenchonite aigüe » et de l’esbroufe indépendantiste ou anti-assimilationniste.
On ne connaîtra jamais le nombre d’authentiques citoyens qui se réfugient dans l’abstention, refusant de participer à ce qui pourrait parfaitement illustrer l’expression du sulfureux Camille Chauvet : un « bal de macaques ».
Fort-de-France, le 17 juin 2022
Yves-Léopold Monthieux

1 Comment

  • Le propos d’YLM est comme d’habitude perspicace.
    Je le trouve néanmoins trop « globalisant ».
    Ce n’est pas tout le monde occidental qui a des difficultés avec la démocratie. La démocratie fonctionne de manière satisfaisante ( je ne dis pas parfaite) dans de nombreux pays: Suisse, Europe du Nord, Allemagne, Hollande, Canada…
    En Martinique, et en France, les responsabilités du désastre sont datées : début des années 1980. L’Etat- Providence pour distribuer des sommes qu’il n’avait pas, a ajouté la dette à l’impôt. Les présidents de droite n’ont pas eu le courage de revenir sur des cadeaux ruineux( extension du statut de la fonction publique aux hôpitaux et aux collectivités territoriales, cinquième semaine de congés payés, RMI, 35 heures etc…). Et la France a rétrogradé dans tous les classements internationaux, sous la houlette de hauts fonctionnaires brillants mais d’abord soucieux de leur carrière.
    En Martinique, depuis les années 1980, le pays s’est enfoncé dans la réclamation permanente et la mendicité arrogante. Un pays dont la majorité ne vote pas, refuse la vaccination, ne donne pas son sang, se plaint constamment du coût de la vie tout en battant les records des ventes de croisières et de champagne est forcément jugé sévèrement par tous les observateurs. Et c’est la gauche qui détient depuis cette époque l’écrasante majorité des pouvoirs,
    Je ne globaliserai donc pas en mettant dans le même sac tous les responsables politiques, ni au plan local, ni au plan national.
    Les problèmes de la France et des territoires d’outre- mer sont archi- connus. Mais le sevrage aux interventions et aux dépenses de l’Etat est refusé par à peu près tout le monde, malgré la ruine des finances publiques et la perte d’indépendance.

Laissez nous un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

%d blogueurs aiment cette page :