Elie Domota : Procès de la contestation du système colonial

 Elie Domota : Procès de la contestation du système colonial

De quoi s’agit-il ?
Les faits remontent au 30 décembre 2021. La Guadeloupe est alors en pleine crise sociale, des barrages routiers sont érigés tous les jours à différents points stratégiques pour manifester contre l’obligation vaccinale, et les sanctions envers les soignants et les personnels de santé du public et du privé.
Le syndicaliste et membre du collectif des organisations en lutte est arrêté et placé en garde à vue au commissariat de Pointe-à-Pitre.

Après 4 heures d’audition, Elie Domota en ressortira libre en début de soirée avec une convocation pour « violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique sans ITT, sans incapacité totale de travail ».
On apprendra à l’audience, en visionnant les vidéos, qu’en fait de violence les forces de l’ordre après avoir gazé et plaqué Elie Domota au sol lui reprochent de ne pas leur avoir tendu le bras pour lui mettre les menottes, sans pouvoir expliquer pourquoi ils ont décidé de l’arrêter. Une Brillante plaidoirie de Maître Georges Emmanuel Germany, bâtonnier du barreau de Fort de France, a démontré qu’il fallait arrêter Elie Domota, parce que c’était Elie Domota le symbole de la résistance en Guadeloupe.Il devra également s’expliquer sur son refus de se soumette aux prélèvements ADN obligatoires lors de sa garde vue.
Notons aussi que Elie Domota a lui aussi à son tour porté plainte contre les forces de l’ordre pour « violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique ». L’audience est alors fixée le 7 avril à 14h au palais de justice de Pointe-à-Pitre.

C’est toute la Guadeloupe qui est concernée et plus largement encore.
Le collectif d’organisation de lutte avait donné rendez-vous dès huit heures dans le parking du CHUG qui est aménagé en un véritable village de résistance. Plusieurs stands sont installés selon les services pour les informations, un grand marché permet de venir en aide aux soignants suspendus et différents autres espaces sont aussi organisés pour discuter avec les visiteurs. Dès huit heures, le village comptait de nombreux militants, des visiteurs, des personnalités venus de Martinique, de France, de Guyane et de la caraïbe. De nombreux témoignages venus du monde entier ont été lus.
Ce sont près de 200 organisations de plus de 30 pays qui ont envoyé des témoignages de soutien à Elie Domota. Cette journée du 7 avril était placée sous le signe de la solidarité internationale contre la répression. On a noté plusieurs manifestations en France, au Mexique, en Palestine, au Venezuela, et dans d’autres pays encore. La solidarité internationale était bien là.

Une salle d’audience qui ne trompe pas
Vers 13h30, l’ensemble des militants s’est rendu à pied, en cortège, de manière pacifique au tribunal de Pointe-à-Pitre. Bien entendu, il y avait la présence traditionnelle des « manblo » armés jusqu’aux dents.
L’audience débute à 14h00 comme prévu, il n’y a pas d’obstruction des autorités pour l’accès à la salle d’audience. Tout est calme, tout se passe très bien. Les militants ont fait le choix de rester massivement à l’extérieur en prévenant les autorités qu’ils repartiraient avec Elie Domota libre le soir même. Le ton était donné, parce que les militants n’étaient pas dupes de ce qui se passerait à l’intérieur du tribunal.

Voilà le tableau
Un pool d’avocats brillants composé de Maître Gelabale, Maître Germany, Maître Daninth, Maître Tacita, Maître Aristide, défendait les intérêts d’Elie Domota. Tous des afro-descendants, quatre guadeloupéens, un martiniquais.
L’accusé : un guadeloupéen, afro-descendant.
Le tribunal était composé de quatre femmes françaises, le procureur lui aussi un français, l’avocat des plaignants, français lui aussi, les plaignants français aussi.
Les faits reprochés : une prétendue insoumission d’un guadeloupéen à l’ordre établi.
Si ce n’est pas un remake de procès colonial comme l’ont connu d’autres par le passé c’est donc une fiction.
Après quelques tours de passe-passe de procédures entre les avocats de la défense, le procureur et le tribunal, le vrai procès commence : Celui du système colonial.

Une violente page d’Histoire
En ce jour du 7 avril 2022, il s’agissait de sortir de l’écume des jours, quitter le marigot des querelles politiciennes, syndicales, déserter le petit « pit » des combats et cancans, pour hisser l’audience de ce « procès » à l’échelle d’un rassemblement des peuples en lutte contre l’oppression. En faire un jour d’exigence, de dignité, de respect, d’attitude raisonnable et constructive. Mais aussi d’audace et d’imagination, où des Guadeloupéens, ensemble, sous les yeux de leur Nation et de celles qui les accompagnent dénonceront en pleine maturité politique les crimes perpétrés par le système colonial. L’objectif est d’adopter une démarche de concertation pour déterminer, de la manière la plus noble, la plus large, la plus haute, ce qui est le plus conforme aux attentes et à l’intérêt du Peuple Guadeloupéen. Cette démonstration fut la mission de Raymond Gama cité comme témoin. Historien, acteur du mouvement LKP, il fut témoin du massacre des 25 et 26 mai 1967 en Guadeloupe.
Avec la maestria qu’on lui connait, Raymond Gama en répondant aux questions du tribunal et des avocats nous a éclairé sur ces évènements. Mais surtout, il a démontré comment il fallait les rattacher à l’arrestation et au procès fait à Elie Domota. Il s’agit comme tout pouvoir colonial de scénariser des violences afin d’instiller la peur et ainsi maintenir la soumission à l’arbitraire. Cette scénarisation est d’autant plus violente parce que les victimes savent par avance que les auteurs ne seront JAMAIS inquiétés. C’est ce que nous enseigne l’Histoire des crimes coloniaux dans les dépositions d’un autre témoin. On compte en un siècle plus de 150 assassinats non élucidés.
Pour mémoire, les 25 et 26 mai 1967, dans les rues de Pointe-à-Pitre, à l’occasion d’une grève des ouvriers du bâtiment, qui réclamaient 2,5 % d’augmentation de salaire, les quartiers de la ville sont jetés dans l’effroi, les larmes et le sang. Le silence qui étrangle les mots et les paroles arrachées à des victimes ou témoins de ces journées en dit long sur la violence à laquelle ils ont été confrontés. Encore aujourd’hui peu de gens savent ce qui s’est passé durant ces deux journées à Pointe à Pitre.
Récemment, le rapport d’une « commission », composée d’historiens dirigée par Benjamin STORA, a été remis en décembre 2016, et conclut qu’il y a eu « assassinat » dans les rues de Pointe à Pitre. Jusqu’à ce jour personne n’a été inquiété par la justice. On fait pourtant état d’environ 85 morts.

Puis, ce fut le tour du Grand frère de Charles-Henri Salin de témoigner sur la violence du système. Ce soir du 18 novembre 1985, ce lycéen sort du cinéma, son cartable sur le dos, il croise un convoi de gendarmes patrouillant à Boissard à Pointe-à-Pitre. Il sera tué de 3 balles d’un pistolet mitrailleur reçues en plein thorax par Michel Maas, 42 ans, maréchal des logis de la Gendarmerie. Le gendarme a reçu une promotion et a été acquitté. C’est cela le système judiciaire en pays colonisé.

Et puis le tour de ce jeune arrêté sur un barrage à Pointe-Noire au mois de décembre 2021, tabassé, insulté, qui s’est exprimé ainsi : « il a essayé de me crever l’œil avec son pouce, mais le gant qu’il portait n’arrivait pas à s’enfoncer dans mon globe oculaire ».

Une aspiration à l’émancipation inassouvie
La majorité des luttes du Peuple Guadeloupéen, depuis les révolutions anti-esclavagistes, ont été sous tendues par un désir viscéral de vivre dans un système démocratique où la reconnaissance de son individualité, de sa culture et de sa différence, le respect de sa liberté de penser et de son droit de décider de son destin seraient garantis.
Malheureusement, la classe politique réduit la Guadeloupe à une série de problèmes économiques et sociaux à traiter !
Raymond Gama a posé quelques pistes pour pacifier les rapports entre les Français et les Guadeloupéens. Il nous faut, dit-il en substance, construire la Guadeloupe avec la vision que nous avons de la dignité, de l’honneur, du respect, du rapport à l’autre, de l’importance que nous accordons aux ainés, à la jeunesse, de l’éthique que nous déployons dans nos rapports à la nature et aux écosystèmes du monde ! On construit un pays avec une éthique et avec des valeurs ! Et c’est cette éthique et ce sont ces valeurs qui nous permettront de traiter tous les problèmes avec plus de force, plus de détermination, plus d’audace et plus d’imagination !

Raymond Gama explique aussi en citant Aimé Césaire que malheureusement le mal est dans la blessure originelle du triple crime commis contre ceux dont nous sommes les héritiers de la souffrance : l’extermination des Caraïbes, la mise en esclavage des déportés d’Afrique, la période coloniale. Hélas, ce mal est encore là et bien présent.

Oui le mal est là !

  • Oui le mal est là, insidieux tel un cancer qui ronge de l’intérieur et dont on prend conscience à travers la douleur quand il est malheureusement trop tard.
  • Il est d’abord dans le déni par certains, de ce passé esclavagiste et colonial que nous portons. Ceux-là même, sourds et aveugles, nous réduisant à des ours qui dansent, et refusant d’entendre ces cris de souffrance qui grondent et qui montent.
  • Il est dans ce regard méprisant de ceux qui croient que nos consciences s’achètent au prix d’actions sociales, d’entretien, d’assistanat, de pain et de jeux.
  • Il est dans l’ethnicisation à outrance de l’encadrement de la fonction publique d’Etat. Il n’y avait qu’à voir la composition du tribunal !
  • Il est dans les menaces et punitions infligées à tout Guadeloupéen qui rejette ce système de valeurs qui veut faire de lui un étranger dans son propre pays et qui détruit jusqu’à sa dignité humaine.
  • Il est dans ces espérances d’émancipation, ces idéaux banalisés et trahis par nos propres dirigeants, nos élites, nos balises.
  • Il est dans cette obligation vaccinale qui crée la mort sociale des soignants, voire la mort physique avec des effets secondaires que les autorités sanitaires nient.

Une histoire qui se répète ?
Toute condamnation sera vaine si elle ne veille à ne jamais négliger la survivance indélébile de la charge ancestrale complexe des souffrances qui se trouve en face d’elle, et cela jusqu’à ce que les nuances de la réalité et des évolutions soient patentes, manifestes et indiscutables.
Est-ce possible dans ce cadre colonial actuel ?
De plus en plus de Guadeloupéens se rassemblent autour de l’idée d’une Guadeloupe débarrassée de ce système colonial, avec une organisation pensée par eux et pour eux. Une grande politique guadeloupéenne ne saurait ignorer n’importe lequel de ces piliers de conscience. Un projet dans lequel il faudra trouver la mesure juste, sans renoncer à ce qui semble essentiel, sans être complice de quoi que ce soit, ni complice de qui que ce soit, mais simplement en s’efforçant d’appréhender la complexité.

La lecture de notre Histoire nous enseigne qu’à l’époque de l’esclavage, les nègres marrons étaient parfaitement conscients de ce qu’ils encouraient comme sanctions s’ils se faisaient prendre après avoir tenté de s’échapper. Conformément au code noir, les maîtres blancs leur coupaient une oreille ou les deux, une main, un pied, les fouettaient au sang ou les pendaient. Et pourtant, beaucoup d’entre eux ne renonçaient pas pour autant à braver ces dangers pour s’enfuir !
Leur slogan était « vivre libre ou mourir ».

PS: Suite de l’audience le 19 mai 2022 à 08h00

Jeff Lafontaine

1 Comment

  • C’est un témoignage historique que le votre cet article est d’une grande qualité et restitue l actualité guadeloupéen

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