Le défi de la réparation est juste et nécessaire

 Le défi de la réparation est juste et nécessaire

À ce jour, toutes les opinions exprimées dans les discussions à propos de l’esclavage, démontrent que des conséquences traumatisantes perturbent jusqu’à aujourd’hui les afro-descendants. Elles dénotent des atavismes de peur, de colère, de haine refoulées, d’agressivité encore bien ancrés dans notre mémoire collective. Cette réalité sibylline a du mal à être acceptée comme un handicap psycho-sociologique qu’il est nécessaire de comprendre pour tenter d’amorcer une réelle résilience quant aux constantes réminiscences générées par la déshumanisation et la chosification de nos ascendants.

Les esprits s’échauffent, des voix s’élèvent avec passion contre un moindre propos jugé d’emblée inconvenant dès lors qu’il est exprimé par un béké descendant de colon. Les ancestrales rancœurs héritées par transmission mémorielle ressurgissent comme pour s’opposer et combattre les faits d’un maître malsain toujours présent physiquement. Ces altérations de la conscience sont la résurgence de sentiments ataviques de préservation d’un for intérieur maltraité brutalisé, persécuté, violenté en quête d’apaisement et de sérénité.

Ce ne sont que l’expression de la remontée inconsciente d’un mal enfoui au plus profond de notre mémoire qui ne demande qu’à être expurgé…

Il est difficile pour nous d’admettre que des conséquences de la période esclavagiste perturbent jusqu’à aujourd’hui notre société.

Le temps pense-t-on a dissipé les colères générées par les horribles tribulations subies par nos ancêtres et leur naturelle inimitié envers la caste béké. Que nenni !

Les griefs contre la caste béké ne sont autres que les résurgences sporadiques de nos haines refoulées de nos aïeux transmises par filiation. Ces vitupérations dont les causes sont indubitablement des ressentiments de colère et de rancœur jamais expurgés de la mémoire collective dénotent d’un affect encore de nos jours perturbé par la somme d’altérations de la conscience engendrées de la déshumanisation subie pendant quatre cent ans.

Un propos banal mal exprimé par n’importe quel quidam à propos de l’esclavage prend une tournure agressive quand il sort de la bouche d’un descendant de colons.

C’est dire la profondeur inconsciente des traumatismes de notre souffrance à ne pas avoir eu une once de réparation qui eut permis les prémices d’une résilience.  Réparation que se devait de faire une nation qui a cautionné jusqu’au bout l’esclavage et ses dérives déshumanisantes. C’est aussi la démonstration d’une république qui foule au pied l’égalité dont elle se targue d’être le dépositaire universel.

Elle refuse une quelconque prise en compte des doléances de réparation fusse-t-elle de principe à ses dits citoyens réclamant justice pour avoir encore de nos jours à subir par filiation l’insulte ajoutée à l’injure d’une indemnisation financière faite à des colons, dont les affaires périclitant au fil du cours du temps, indemnisés pour la perte des profits dus à la perte de leur main d’œuvre bon marché.

En accordant réparation aux colons d’une part et en laissant d’autre part l’esclave libre dépouillé de tout à la disponibilité de ses mêmes maitres afin qu’ils assurent la continuité de leurs affaires dans un humanisme et une légalité sophiste, la nation française a dénié le droit à l’esclave libre, seulement de mouvements, de se libérer des affres sociologiques douloureuses de la période esclavagiste. 

Cette attitude volontairement inégalitaire d’un état prônant l’égalité n’a pas permis au nouveau membre de sa colonie en attente de citoyenneté d’aspirer même après la départementalisation à une réconciliation de principe avec ses ex tortionnaires.

En refusant de lui octroyer les mêmes droits d’accession à une réparation sur la base de sa dite égalité résultant de la déclaration droite de l’homme, la nation française a inexorablement créé une impossibilité de cohésion de la société martiniquaise.

Les ressentiments les plus bénins et ordinaires ont fait place à une détestation inconsciente des héritiers moraux des colons ayant bénéficié des largesses de l’état volontairement partial.

Cette ostensible injustice ainsi que tous les mécanismes de déshumanisation subis pendant la période esclavagiste imprimés dans notre mémoire collective ont engendré des traumatismes indélébiles par l’absence de réparation du dommage psychosociologique permettant une ébauche de réconciliation et conséquemment un relatif bien vivre-ensemble.

Sur un mode égalitaire, une action réparatrice, ne fut-ce que dissimilaire engendrerait les prémices d’une résilience progressive à plus d’un titre correctrice des traumatismes ancrés dans l’inconscient collectif du nouvel accédant afro-descendant à la citoyenneté française de 1946. Les immanquables  répercussions auraient bénéficié à la société d’aujourd’hui.

Il résulte de l’absence de réparation de ces altérations sociologiques une remontée de ressentiments à fleur de peau inconsciemment démultipliés quand il s’agit d’un propos d’un béké critiquant par exemple la politique de nos dirigeants.

BH ne fut-il pas sévèrement tancé par la classe politique pour avoir donné à tort ou à raison son point de vue en ce qui concerne la gestion de l’équipe en charge de la gouvernance de la CTM ? Cela ne démontre –t-il pas que ce qui ne serait qu’un simple point émanant d’un de nos compatriotes afro-descendant prendrait une tout autre dimension que celui sortant de la bouche d’un descendant de colon dont la divulgation est considérée inflexiblement comme une critique inconditionnellement inacceptable.

Cela ne dénote-t-il pas d’une réaction résurgente et instinctive en réaction à notre aliénation au système d’habitation dont les rémanences pesantes sont loin d’être dissipées. Se poser les vraies questions sur les réelles causes de la détestation inconsciente du béké, sur les conséquences psychosociales afférentes ainsi que les rémanences des atavismes de haine refoulés au plus profond de notre inconscient permettrait d’ouvrir un vaste champ d’investigation préparatoire à une nécessaire réparation juste et acceptée de tous et de fait engendrerait une dissipation progressive de ces altérations rémanentes.

Dans notre inconscient perturbé, le béké symbolise le pouvoir détenu par les colons de l’époque de tous les malheurs déshumanisants de nos ascendants.  Cette mise à l’index ne serait qu’une manifestation spontanée des ressentiments ataviques envers les descendants de ceux que nos aïeux ont abhorrés.

Les anciens maîtres ont légués leurs possessions à leurs descendants qui sont passés de l’habitation au système d’habitation en faisant la main basse sur l’économie dont ils sont devenus les maitres à la Martinique.

Cette légation de fait ne dissipe pas les atavismes, au contraire elle fait perdurer de manière inextinguible la prépotence des descendants des colons.

Elle serait donc inconsciemment l’activateur des pulsions haineuses projetées par nos aïeux pour être symboliquement le représentant vivant du maître dont la mémoire délétère hante notre inconscient collectif. Cela, qu’importe que nous soyons issus d’une lignée de nègre domestique ou de nègre marron. Elle devient aussi le déclencheur de toutes nos rancœurs et souffrances ataviques dont rien ne semble vouloir effacer les conséquences négatives. Les atavismes ont la vie dure, s’en affranchir est une tâche difficile.

Notre incapacité à aborder et résoudre les vraies causes de nos problèmes issus des traumatismes inhérents à l’esclavage et ses rémanences douloureuses relève soit de la méconnaissance, du déni, ou de l’oubli volontaire de notre histoire douloureuse et surtout la peur de couper le cordon ombilical qui nous lie à ce système partial.

Notre inconscient collectif toujours emprisonné dans les affres de l’inconscient ne peut que faire adosser tous ses maux aux représentants des malheurs qu’ont subi nos aïeux que nous héritons jusqu’à ce jour par effet de transmission généalogique inter-générationnelle. Qui plus est, aucune prise de responsabilité de nos propres affaires n’a permis de couper définitivement ce lien par le fait de la constitution d’une entité politique responsable obligeant une homogénéisation de sa société.

La communauté béké doit-elle porter la charge des actes commis par leurs ascendants ? Notre propension naturelle à élucider cette question en désignant d’emblée un coupable se résume par l’altération de notre affect malmené à cause de ses indéfectibles atavismes de colère non expurgés de notre inconscient collective et cela s’entend. À quelques égards ces ressentiments légitimes sont compréhensibles quand on sait que les descendants d’esclavagistes ont géré l’histoire strictement en leur faveur, sans partage, ni considérations d’humanisme empathique qui eut généré une amorce de réconciliation sur la base de la reconnaissance des traumatismes subis.

Mais l’histoire de l’humanité ne démontre-t-elle pas que tout groupe dominant use ou abuse de leurs prérogatives préférentielles acquises ou non par la force pour imposer leur position dominante ? Afin d’imposer leurs contingences existentielles ne subordonnent-ils pas les masses à leur exigences parfois dictatoriales ?

Certes l’inégalité de traitement envers les hommes d’une même société ne devrait pas exister, mais cela ne doit pas être une constante de l’évolution d’un peuple, moins encore de notre humanité ? Croire à une extrême bienveillance de l’humanité ne dénote-t-il pas d’utopie ou d’excès de naïveté ?

 Ne doit-on pas secouer le cocotier ?

À tort ou à raison, on pense que les crimes des esclavagistes ne sont pas imputables à leurs descendants. Alors à qui les imputer quand on sait qu’ils ont géré l’histoire uniquement par intérêts mercantiles ? L’idée de réparation réclamée à l’état français est juste, il lui incombe l’impératif devoir de réconcilier ses membres divisés par des crimes contre l’humanité qu’il cautionne encore aujourd’hui en déniant aux afro-descendant ce salutaire droit de réparation.

Cette réparation financière même symbolique est juste et nécessaire pour rétablir une égalité jamais démontrée entre les membres d’une même société.  L’attitude laxiste et complice de l’état garante de sa dite égalité laisse penser à du favoritisme pour une communauté qui a profité et profite encore de tous les avantages d’un système qui semble n’avoir été fait que pour lui.

Ce crime contre l’humanité non réparé est totalement imputable à l’état français. Il doit procéder à une réparation-pardon   au nom de tous les acteurs ayant profité de la manne financière indemnisant la perte de main d’œuvre générée par inhumanité.  C’est seulement ainsi qu’il rétablira le droit d’égalité dont il se targue d’être le porte-drapeau et que l’égalité dont il a fait sa devise sera acceptée comme principe de bien vivre ensemble entre communauté que le poids du passé interdit.

Christian MAGLOIRE, le 20 mai 2022

1 Comment

Laissez nous un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

%d blogueurs aiment cette page :