Toute condamnation sera vaine

 Toute condamnation sera vaine

Toutes les outrances et toutes les injures sont condamnables, d’où qu’elles viennent. Cela dit, il existe des pesanteurs historiques et des situations qui ne favorisent pas la mesure, la nuance et l’évaluation d’une complexité.
Une bonne partie de la communauté que l’on appelle en Martinique « les Blancs »(personne originaire de France) n’a pas réussi à donner d’elle une image autre que celle d’un « maintien à l’écart » symbolisé par un regroupement familial remarquable dans certaines communes du sud de la Martinique. De plus, la captation de l’essentiel des postes d’encadrement des fonctions publiques d’état et hospitalière s’ajoute au sentiment d’une solidarité en ce qui concerne le fonctionnement en réseau pour le partage de privilèges. Cette perception est accentuée par le fait que ce groupe concentre dans ses mains, à côté des « Békés » le plus gros de la dynamique économique du pays.

Un système qui implose de toutes parts
Parallèlement à cela, de plus en plus de Martiniquais sont confrontés aux effets de la crise structurelle d’un système qui implose de toutes parts : la violence au quotidien, le racisme, l’éclatement de la famille minée par les conséquences d’un chômage de masse persistant, le suicide silencieux d’une partie des nôtres, l’exsanguination progressive du pays de sa jeunesse et l’exclusion depuis des décennies de milliers d’isolés, spoliés de leurs droits à une vie décente.
C’est une partie de ce contingent d’écorchés de cette société coloniale appelés souvent à tort « voyous » qui se jettent dans les luttes pour l’émancipation et parfois les luttes sociales, comme de robustes militants.

Ces désespérés se réhabilitent vis-à-vis d’eux-mêmes
Ces « déclassés » vont, par le canal de l’action militante violente et décisive, retrouver le chemin de leur propre réhabilitation. Ils ne se réhabilitent pas vis-à-vis de la société coloniale ou de la condescendance du dominateur. Non. Tout au contraire, ils revendiquent leur incapacité, voire leur refus de s’intégrer dans la cité autrement que par la force et le désordre. Ces désespérés se réhabilitent vis-à-vis d’eux-mêmes et vis-à-vis de leur histoire. Tous ceux et toutes celles qui évoluent entre la folie et le suicide vont se rééquilibrer, vont se remettre en marche et participer de façon décisive aux actions de protestation contre cette domination coloniale.
En même temps, l’ostentation et les postures de certaines de nos élites dans leurs rutilantes berlines, l’apparent niveau d’équipement et d’infrastructures publiques et privées et les belles plages tendent à faire croire que tout va bien.

Or, le mal est là !
Il est d’abord dans ce regard méprisant de ceux qui croient que nos consciences s’achètent au prix d’actions sociales d’entretien de l’assistanat, de pain et de jeux.
Il est dans le déni par certains, de ce passé esclavagiste et colonial que nous portons. Ceux-là même nous réduisant à des ours qui dansent, et refusant d’entendre ces cris de souffrance qui grondent et qui montent.
Il est dans l’injuste et indigne traitement des soignants martiniquais par une valorisation ostentatoire et discriminante des « sauveurs de la nation » venus de France auxquels les mêmes privilèges coloniaux sont attribués.
Il est dans l’ethnicisation à outrance de l’encadrement de la fonction publique d’Etat.
Il est dans les menaces et punitions infligées à tout martiniquais qui rejette ce système de valeurs qui veut faire de lui un étranger dans son propre pays et qui détruit jusqu’à sa dignité humaine.
Il est dans le mépris de ce corps médical à qui on interdit la collaboration avec leurs propres patients pour seulement se contenter de les accompagner à la fin de vie.
Il est dans ces espérances, ces idéaux banalisés et trahis par nos propres dirigeants, nos élites, nos balises.
Il est dans cette cacophonie ambiante d’une communication politico-sanitaire visant à nous endormir, nous infantiliser et nous effrayer.
Il est dans ce confinement méprisant, punitif et infantilisant prorogé par nos gouvernants où le vaccin devient une récompense à la soumission. Vous serez déconfinés quand le taux de vaccinés sera acceptable. Voilà en substance ce que nous infligent nos élus.

Oui le mal est là !
Oui le mal est là, insidieux tel un cancer qui ronge de l’intérieur et dont on prend conscience à travers la douleur quand il est malheureusement trop tard.
Oui le mal est là quand le peuple se passionne beaucoup plus pour les Feux de l’amour et autres Koh-Lanta car nous n’en pouvons plus des discours empreints de miel, de fiel, et autres somnifères des politiciens dans leur ensemble.
Oui le mal est là, insidieux car parfois malgré tout, on fait la fête certes, pas seulement parce que nous ne sommes que des fêtards mais aussi parce qu’on en a marre d’être pris pour des connards.
Oui le mal est là quand on manque de solution d’inclusion pour ceux qui de plus en plus nombreux pèsent de toutes leurs forces sur l’insécurité, le désordre, sur l’existence de cette violence sporadique, difficilement supportable, à laquelle nous sommes confrontés, avec cette impression d’impuissance.
Oui le mal est là quand la réponse la plus fréquente à ces cris s’appelle prison.
Oui il est enfin dans la cécité et la surdité de nos gouvernants face à tous ces maux.

Une Martinique à deux vitesses, deux couleurs.
Des épisodes malheureux comme celui de l’aéroport, qui n’est qu’un de plus et pas le dernier, doivent être l’occasion de changer cette perception d’une Martinique injuste, à deux vitesses, à deux couleurs, de se poser de vraies questions sur les postures que l’on adopte, sur le silence assourdissant du plus grand nombre même quand l’insupportable est avéré.
Toute condamnation sera vaine si elle ne veille à ne jamais négliger la survivance indélébile de la charge ancestrale complexe des souffrances qui se trouve en face d’elle, et cela jusqu’à ce que les nuances de la réalité et des évolutions soient patentes, manifestes et indiscutables.
Alors, les injures collectives seront non seulement illégales et inacceptables, elles deviendront illégitimes.

Jeff Lafontaine

Laissez nous un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

%d blogueurs aiment cette page :