Evolution institutionnelle :  Vers une autonomie platonique.

 Evolution institutionnelle :  Vers une autonomie platonique.

La dernière fois que les Martiniquais se sont exprimés massivement lors d’un scrutin concernant une possible évolution vers un statut d’autonomie, le “non” l’avait emporté.

C’est sûr que la Gauche avait très sérieusement fait campagne pour le « non », mais était-ce la seule cause de ce refus massif d’une “petite évolution” ?

Faux départ.

Il ne faut pas craindre de le souligner avec force que les représentants politiques du peuple Martiniquais à cette époque ne souhaitaient pas quitter leur zone de confort colonial, d’autant qu’ils briguaient presque la totalité des postes électifs, tant dans les communes que dans les institutions à représentation politique.

Alfred Marie Jeanne, promoteur de l’évolution institutionnelle vers l’article 74, était jusqu’à cette date président de région sortant n’avait pas réussi à convaincre les Martiniquais de la nécessité du changement. “La Déclaration de Basse Terre” qu’il avait co-signée avec Lucette Michaux Chevry (Leader de la droite guadeloupéenne) et le progressiste Guyanais Antoine Karam en décembre 1999 n’avait pas été bien reçue en Martinique. Car cette “déclaration” émanant d’un trio de présidents de Région unis le temps d’un texte n’a jamais eu l’écho nécessaire au sein du peuple Martiniquais. Comment les Martiniquais pouvaient-ils croire un instant qu’au-delà de ce texte, qu’Alfred Marie Jeanne puisse vraiment s’opposer à la politique coloniale, lui dont jusqu’à ce jour n’a laissé de trace de programme ou de projet politique global ?

Rajouté à cela une gestion catastrophique du conseil régional de l’époque et un P.P.M. (parti progressiste martiniquais) se voyant déjà en haut de l’affiche de la conquête de l’institution régionale.

Ces difficulté, entre autres, lui ont coûté la présidence du conseil régional en 2010 au profit du Président du PPM de l’époque.

Mais nous n’en sommes plus là.

Février 2024, après près de 10 ans d’une collectivité unique qu’on croyait destinée à faire bouger les lignes du statut politique vers la responsabilité, le P.C.E. (Président du Conseil Exécutif de l’assemblée de Martinique), multiplie les congrès d’élus et les discussions bilatérales avec le gouvernement pour une nouvelle évolution institutionnelle. Soulignons qu’aucun parlementaire n’est associé à cette démarche, du moins aucun n’en fait état dans leur travail politique.

Comme d’habitude, on mobilise alors des universitaires soi-disant “experts” qui pour la énième fois, vont analyser, radiographier, la situation du pays et accompagner les élus de la majorité. C’est la règle du jeu.

Ces “experts”, qui sont à une ou deux exceptions près que des réels produits du système colonial actuel, ne peuvent en aucun cas casser les codes. On se rappellera en substance de l’observation d’Albert Jacquard célèbre physicien : « le système ne choisit pas les meilleurs, mais ceux qui sont les plus capables à le pérenniser, c’est-à-dire les plus soumis ». Ils demeurent tous bien installés dans un doux consensus, selon le “cahier des charges” politique qui leur a été indiqué.

En réalité, les universitaires experts de la “nouvelle génération” ne sont aucunement des patriotes ou des militants nationalistes, engagés, comme le furent jadis : Jean-Claude William, Michel Louis, Philippe Saint Cyr et d’autres encore. À aucun moment dans leur “expertise”, ils ne remettent en cause le système colonial français qui perdure ici depuis 4 siècles.

1er constat.

Nos “experts” ne sont pas des anticolonialistes. Ce sont juste des “spécialistes” du droit français. Ils rabâchent sans cesse les articles de la “constitution” française pour tenter de trouver une “fenêtre” de tir parce qu’ils en font une affaire d’articles, alors que c’est avant tout une affaire de principe et de vision globale de notre pays dans ou hors la République française et dans le monde. Article 73- 1, 2 ou 3, Article 74, etc.… Ce n’est pas une question de numéro !

Cette réduction à une affaire d’articles, de numéros, nous met en face d’un problème qui est celui de la Constitution française elle-même. Malgré ses révisions de plus en plus fréquentes, cette Constitution est incapable de concilier l’idée de différence, d’initiative, d’autonomie et de diversité, avec celle de l’égalité des droits dans le cadre d’une République. Une république qui ne supporte ni la diversité, ni la différence, ni l’idée d’une unité capable de se fonder sur une pluralité de génies, de démarches et de pensées ! Une République qui se moque de plusieurs siècles d’histoire, et de ces milliers de combattants, ces milliers de nos ancêtres, qui dans les moments les plus terribles se sont sacrifiés pour elle, ont donné leur sang pour les valeurs de liberté dont cette république semble se faire championne. Une République qui ne saurait comprendre cela est pour moi une République qui ruse avec l’histoire ! Une Constitution qui ne saurait admettre cela est de facto une Constitution qui nous ignore. Notre place n’y est pas.

2e constat.

Nos “experts” restent dans l’entre-soi politique et confortent les choix du P.C.E. qui fait d’ailleurs cavalier seul dans cette démarche d’évolution institutionnelle. Cette démarche déjà contestée par de nombreux élus menace de déboucher sur des résolutions du congrès qui ne vont pas convaincre le peuple Martiniquais de la nécessité du changement. En effet, le ministre des Colonies a bien souligné que le peuple sera consulté.

Pourquoi avoir fait l’impasse sur l’unité possible pour imposer une radicalisation de l’agenda politique au risque d’un approfondissement définitif du fossé qui se creuse entre le peuple et ses élites dirigeantes ?

Hélas, tout repose sur les calendriers électoraux, et les postures qui augmenteront les chances de réélection de celui-ci ou celle-là. Ce sont ces motivations fondées sur des considérations tacticiennes et politiciennes qui sèment actuellement l’incompréhension dans de larges couches de la population du pays. Car, répétons-le, tout autant que le mode de relation ou de rupture avec la France, c’est la question du mode de gouvernance qui est au cœur des débats à travers la mise en cause de la capacité des élus à véritablement faire décoller la Martinique.

3e constat.

Les élus « nouvelle génération » eux non plus ne sont pas des militants anticolonialistes et cela se traduit par une moins bonne compréhension des enjeux politiques et sociaux. Ils n’ont généralement aucune expérience de militantisme derrière eux et une connaissance superficielle des dossiers politiques. D’ailleurs, ils ne prennent jamais la parole.

En effet, avec le développement des prérogatives des collectivités territoriales et la complexité de l’action publique qui en découle, les élus tendent à s’investir dans l’expertise jusqu’à être concurrents de l’administration. « les technico-politiques ». On observe une montée en compétence des élus qui mobilisent des savoirs et savoir-faire mais sans légitimité sur la scène politique, en rupture totale avec les aspirations des Martiniquais.

Cette professionnalité marque une distance avec les formes de légitimité de l’homme politique traditionnel. En effet, ce qui était demandé aux élus c’était de la vision, de la probité, de l’honnêteté, de l’implication.

Les Martiniquais vont-ils valider ce processus de changement ?

Les patriotes nationalistes et indépendantistes (MIM, Péyia, PKLS, Palima, GRS, ..etc) vont-ils au nom du ”consensus”, aider le PCE ou s’opposer radicalement à ce projet ? Soulignons que ces partis dits nationalistes ont le soutien d’une trentaine d’organisations et associations, qui risquent de participer à la campagne.

La réponse risque d’être négative car de plus en plus de martiniquais refusent de réduire leur pays à une série de problèmes économiques et sociaux à traiter ! En effet, Il nous faut construire notre pays avec la vision que nous avons de la dignité, de l’honneur, du respect, du rapport à l’autre, de notre conception du troisième âge, de l’importance que nous accordons à la jeunesse, de l’éthique que nous déployons dans nos rapports à la nature et aux écosystèmes du monde !

On construit un pays avec une éthique et avec des valeurs ! Et c’est cette éthique et ce sont ces valeurs qui nous permettront de traiter tous les problèmes avec plus de force, plus de détermination, plus d’audace et plus d’imagination ! Et pardessus tout agir en Martiniquais !

C’est en ce sens que l’idée de souveraineté est fondamentale, car on ne saurait imaginer qu’un individu, qu’une famille, qu’un peuple, qu’une nation puisse atteindre un quelconque degré de plénitude, sans disposer d’un minimum de souveraineté sur soi-même, sur ce qui lui appartient ou sur son devenir !

La revendication de la souveraineté, n’est ni pour un clan, ni pour un Parti…et, ce n’est surtout pas pour une autocratie quelconque ! … Il faut que cette souveraineté soit désirée et partagée par le peuple et non imposée au peuple… et qu’elle ne constitue en fait qu’un trompe-l’œil afin de dissimuler des objectifs plus douteux, à savoir : le pouvoir pour le pouvoir !

L’illusion du pouvoir dans le statuquo colonial.

L’ultime solution viendrait alors d’une décision du gouvernement colonial d’ouvrir au P.C.E. la porte d’une “domiciliation” du pouvoir. Pouvoir de faire quoi ? De décider de quoi ? De s’occuper de quoi ? Nul ne sait. Ça serait une sorte d’autonomie platonique que les Corses refusent déjà en se préparant à d’autres formes de luttes. Le ministre des Colonies lors de sa récente visite a bien fait la différence entre évolution constitutionnelle et aménagement institutionnel.

Ce système qui pourrait être mis en place dans le contexte actuel, en quoi serait-il supérieur, plus efficace ou meilleur à ce qui existe déjà ?

Jeff Lafontaine

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