Les princes du vent règnent sur le royaume du vide

 Les princes du vent règnent sur le royaume du vide

On a pu entendre ici et là certains s’auto-congratuler pour avoir rebaptisé la rue  » Gallieni » du nom d’un Martiniquais, René Achéen. C’est une très bonne chose d’une part d’avoir décidé d’arrêter de vénérer un des bourreaux de notre peuple, dénommé le boucher de Madagascar pour les crimes commis, et d’autre part d’avoir choisi René Achéen qui a largement contribué à la prise de conscience par les jeunes générations de leur situation au regard de la culture coloniale dominante. On pourrait croire qu’il s’agissait d’une action culturelle pour combattre la persistance des symboles de la colonisation et de l’esclavage dans notre société dominée. En effet, les noms de rues et représentations statuaires trônent encore dans nos espaces publics, non seulement à Fort-de-France, mais dans tout notre pays.

Eh bien non !

La récente valorisation de la rue Garnier Pagès, autre tortionnaire de notre peuple, nous démontre le contraire. Plus encore. Le 22 mai 2020 a marqué un virage important dans la volonté du peuple martiniquais que l’on croit silencieux, apathique et sans réaction devant la réalité coloniale. Le message que portaient ces destructions des statues de criminels de l’esclavage et de la colonisation était très clair.  » Vos héros sont nos bourreaux« .

La réaction des représentants de l’ordre colonial et des receleurs des privilèges de l’esclavage a été aussi très claire. Dans un florilège de communiqués, ils se sont empressés de condamner au motif que la mémoire des héros de notre histoire aurait été souillée. Qui a donc forcé la main ? Cette nouvelle dénomination de rue semble n’être qu’une récupération politique de la volonté du peuple martiniquais.

Nos héros contemporains s’appellent aujourd’hui Noël, Alexane, Kevin, Volkan, Anicia, Baramine, Jay, Charly et tous les autres …. Ce sont eux qui aujourd’hui comme leurs ancêtres jadis se dressent courageusement devant l’ordre colonial au péril de leur vie, de leur confort quotidien. Ce sont eux qui garnissent les geôles coloniales.

Plusieurs questions se posent.

  1. Qui a baptisé ces rues et installé les statues du nom des bourreaux du peuple martiniquais
  2. Comment peut-on expliquer qu’une municipalité  » progressiste » se soit accoutumée depuis 1945 à la valorisation des criminels de l’esclavage et de la colonisation ?
  3. Comment expliquer la lutte pour l’identité martiniquaise, la lutte pour l’émancipation et vénérer en même temps ceux qui nous l’ont retirée ?
  4. Comment peut-on comprendre qu’au sein des conseils municipaux depuis 1945, aient siégé, des hommes de gauche, des communistes, des socialistes, des progressistes, des indépendantistes et que cette question n’ait pas été encore réglée ?

Il ne s’agit pas de porter un quelconque discrédit sur untel ou untel, mais d’essayer de comprendre les actes et les discours des chantres de la reconnaissance du peuple martiniquais et de son émancipation.

Un congrès pour quoi faire ?

Le piège est prêt, le crime de nos persécuteurs nous cerne les talons. Alors que le peuple crie sa souffrance, et résiste aux actions violentes du gouvernement envers les martiniquais et en ce moment spécifiquement contre les personnels soignants, 61 conseillers territoriaux, 34 maires, 3 présidents d’EPCI et près de 1000 conseillers municipaux chargés de nous représenter n’ont comme seule réponse l’organisation d’un congrès des élus afin de demander plus de pouvoir à l’État. Pourtant la démonstration est faite tous les jours qu’avec ceux qu’ils ont déjà, ils sont incapables d’accompagner les Martiniquais sur des demandes basiques de paiement de bourses, de travaux d’entreprises ou encore l’anticipation sur la maintenance du bâti scolaire. Nous avons même entendu un élu nous dire que nos 4 députés seront chargés d’aller négocier avec l’État de nouveaux pouvoirs …rien que cela !

Ce désintérêt des Martiniquais pour les travaux des commissions thématiques, pour ces conférences sur la responsabilisation, pour le faire peuple et pour le développement est palpable et inquiète. C’est ce même vent qui souffle depuis des décennies et qui n’a rien changé de notre situation et qui au contraire a renforcé le système de société de consommation outil efficace de la domination coloniale.

On comprend mieux cette fébrilité et les maladresses. C’est par exemple le cas de la démarche de récupération politique du drapeau martiniquais emblème de la lutte pour sa libération. Cette précipitation effrénée à vouloir convertir le drapeau martiniquais emblème de la rupture avec la France coloniale, en un fanion régional symbole de rattachement à la France coloniale ? L’auditoire est désespérément vide. Les princes du vent règnent sur le royaume du vide

Sé pas nou pa anlè zot ankò. Nou ka préparé pou nou paré.

Je ne reviendrai pas sur cette défiance généralisée à l’endroit de la classe politique, les médias officiels, la science. C’est acté.

Le peuple lucide et souverain fera ses choix. Aucun de ces princes ne deviendra roi. Dans le monde, l’action citoyenne prend le dessus. En Martinique, les « gens » s’organisent quoi que l’on dise sur leur participation aux mouvements de protestation classiques. Les commissions chlordécone, vie chère, et autre continuité territoriale ne sont que du prêt à penser coloniale pour faire bavarder des élus. Personne n’y croit.

La prise de conscience est là, se renforce, se donne le temps de faire entendre sa colère, ses projets. L’idée que notre épanouissement ne peut se réaliser ni dans le carcan colonial ni avec la classe politique au pouvoir a fait son chemin et est majoritairement partagée. Aujourd’hui les raisons de la contestation sont réelles et légitimes. Il manque un détonateur innovant, adapté et non obsolète. Tout est en maturation d’expression sur une autre longueur d’onde que celles qui poussent légitimement à agir dans la clandestinité pour brûler des radars.

Jeff Lafontaine

Laissez nous un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

%d blogueurs aiment cette page :