Lettre ouverte d’une mère guadeloupéenne à la presse

 Lettre ouverte d’une mère guadeloupéenne à la presse

« Depuis un peu plus d’une semaine, la Guadeloupe vit une crise sociale et, j’ai envie de dire, sociétale, conduisant à des blocages à de nombreux coins des deux îles principales que sont la Basse-Terre et la Grande-Terre.

Et soudainement, cette contrée lointaine d’habitude prisée que pour ses plages de sable fin, ses 30°C à l’ombre, son ti-punch, son volcan, défraye la chronique dans vos colonnes.

Soudainement, vous vous rappelez qu’il y a un « département » français, dit « d’outre-mer », et qu’il faut peut-être aller couvrir l’événement car « on tient le bon bout ».

Et j’assiste, à la lecture de vos articles à ce que j’appellerais de la démagogie journalistique. Pourquoi, me direz-vous ?

Parce que vous essayez d’expliquer les raisons de ce mouvement mais votre regard est biaisé.

Il est biaisé, car, dès qu’il s’agit de nous, il faut toujours chercher des explications soit farfelues, soit s’exprimer comme un maître d’école le ferait face au comportement d’un enfant indiscipliné.

Et, une fois de plus, j’assiste à un déferlement de violence dans les commentaires sous vos articles. Entre ceux qui nous traitent de « sauvages » , de « bouffeurs d’allocations », « d’enfants gâtés » et ceux, encore plus violents qui parlent de nous dans des termes si indicibles que je ne me permettrai pas de les répéter ici. Et encore une fois, ces personnes ne sont pas censurées, et leurs commentaires continuent d’exister alors même qu’ils n’auraient jamais dû prendre vie.

Et tout ceci intervient après que vous vous fussiez permis de recevoir sur vos plateaux des gens qui expliquent la défiance d’une bonne partie de la population par le fait que nous soyons juste des illettrés, adorateurs de la Vierge Marie, buveurs de rhum et pratiquants du vaudou.

Encore une fois, vous essayez de chercher des explications, en apportant vous-mêmes des réponses, sans chercher à ce que les personnes qui seraient en mesure de vous dire la vérité le fassent.

Alors, je vais me permettre de vous instruire quelque peu sur ce qu’il se passe en Guadeloupe, et je vous inviterai à juger par vous-mêmes de la situation.

La Guadeloupe est un archipel, là je ne vous apprends rien, construit sur une histoire sanglante que beaucoup préfèrent glisser sous le tapis, comme si elle allait disparaître.

Pour autant, la réalité, qui sous-tend notre société et sur laquelle nous nous sommes construits, est que pendant des siècles on a déporté dans des conditions plus qu’inhumaines, torturé, battu, violé, tué, brisé, certains de nos ancêtres, avant qu’en 1848 (je vous passe le saut de cabri entre 1794 et 1802, ou… ?), on ne leur fasse croire qu’ils étaient libres. Oui, vous avez bien lu, « fasse croire ». Car, à ce moment-là, on a indemnisé les vict… ah non, oups, non, on a indemnisé les criminels (ben oui, c’est ainsi que ça fonctionne non ?) et on a laissé nos ancêtres se débrouiller.

Elle nous vient de là, cette rage, cette hargne, il vient de là ce sentiment d’injustice. Essayez de vous imaginer une seule seconde ce que ça vous ferait de vous construire sur ça…

Pourtant, on a continué d’avancer, encore, et toujours, sans cesse, et encore, et toujours, à travers l’histoire, on a bafoué notre confiance.

La départementalisation ? Arnaque suprême…

Le BUMIDOM ? Nouvelle entourloupe…

Le chlordécone ? Oh, il y a prescription. Whaaaatttt ??? Allez dire à des gens qui ont été empoisonnés que ce n’est pas grave car il est déjà trop tard, et attendez-vous encore et toujours, qu’ils soient dociles. Doux comme des agneaux. Mais, taisez-vous donc, bandes de sauvages !

La réparation pour les crimes et atrocités de l’esclavage ? Noooon nous avons un problème, on devrait « s’estimer heureux » d’être Français n’est-ce pas ? Arrêtons donc de vivre dans le passé, non ? En attendant, on voit notre président annoncer, dans le plus grand des calmes qu’il va demander pardon aux harkis « avec une dimension mémorielle mais aussi un volet indemnisation ». La Guerre d’Algérie c’est il y a 60 ans, il me semble que 1848 est plus ancien, non ? Je ne sais pas calculer ? Sans doute… Mais, taisez-vous donc, bandes de sauvages !

Les sargasses ? Oh, mais faut qu’on s’y habitue, n’est-ce pas ? En attendant, le département des Côtes- d’Armor obtient gain de cause pour l’envahissement des algues vertes. Mais, taisez-vous donc, bandes de sauvages !

L’eau au robinet ? Oui nous parlons bel et bien de l’eau potable, vous savez ce liquide précieux et vital, et encore plus en temps de pandémie… Ben chez nous c’est soit ça coule pas, soit c’est pollué… On a donc le choix entre eau sèche et eau chlordéconée… Mais, taisez-vous donc, bandes de sauvages !

Le coût de la vie ? Quand je vois que dans l’hexagone j’ai un cabas rempli pour 36€ (j’y étais en début novembre, je n’invente pas) et qu’ici pour le même prix j’ai à peine de quoi tenir 3 jours avec ma famille chez moi. Quand on regarde le prix global de TOUT ce qu’il y a ici, comme si tout ce qui arrivait en Guadeloupe devenait subitement serti de diamants… Il y a un problème ! Mais, taisez-vous donc, bandes de sauvages !

Le chômage ? En Guadeloupe, le taux de chômage est trois fois supérieur à la moyenne nationale, notamment chez les jeunes de moins de 30 ans (>52%), souvent sans grande perspective d’avenir… Mais, taisez-vous donc, bandes de sauvages !

Notre système de santé ? Depuis des décennies, notre système de santé est en asphyxie. Le plus grand hôpital public, comme si la malchance devait à tout prix s’abattre sur nous, a subi un grave incendie en 2017. Malgré tout, le personnel, par amour de son métier, souvent à bout de nerfs et de souffle, a continué sans relâche de donner le meilleur de lui-même afin que la situation ne soit pas plus catastrophique. Mais, taisez-vous donc, bandes de sauvages !

Et je rajouterai à la liste toutes les injustices subies et ressenties, sur fond de conflit racial. Je vous inviterai sur ce sujet à aller chercher des informations sur mai 1967 et le 14 février 1952, pour ne citer que ces dates-là, où, des Guadeloupéens ont été abattus sans que leurs coupables ne soient inquiétés. Plus récemment, un événement survenu à Deshaies laissant une famille dans le désarroi… Des exemples du genre, vous pourrez en trouver à la pelle car l’histoire est déjà écrite… Mais, taisez-vous donc, bandes de sauvages !

Et dans tout ce contexte déjà anxiogène et délétère, il a fallu que le COVID s’installe. Et là, on a dû accepter qu’on nous montre qu’on laisse toutes frontières ouvertes, avant de lever sans cesse le bâton, nous traitant d’irresponsables et de décérébrés… Plus tard, la vaccination est arrivée et on a carrément traités de meurtriers ceux qui s’y opposaient…

Et aux soignants à qui l’on disait en 2020 : vous êtes en première ligne, vous êtes l’honneur de la nation, merci… Aujourd’hui on dit : Au nom de la loi, je vous suspends !

Et dans un climat déjà effrité, effiloché, dans le contexte que je vous ai décrit plus avant, on plonge encore des familles guadeloupéennes dans la souffrance, menaçant leur pain et celui de leurs enfants, le toit sur leur tête. Tout ça au nom de quoi ? De la liberté ?

Alors, en tant que peuple habitué à se faire bafouer sa liberté, on a décidé de dire NON ! Non pas parce que les Guadeloupéens sont des décérébrés non conscients de la réalité de la crise sanitaire.

Mais parce que cette crise sanitaire, beaucoup de foyers guadeloupéens privés d’eau la vivent depuis des années.

Parce qu’on ne peut pas ne pas appliquer des lois quand ça nous arrange et venir lever le bâton pour en faire appliquer une autre parce qu’elle nous sied plus.

Alors, vous vouliez savoir pourquoi la Guadeloupe s’embrase ?

Bien la Guadeloupe s’embrase car cela fait longtemps qu’on lui brûle les ailes et qu’elle doit panser ses blessures avec des épines. Cela fait longtemps qu’on lui marche sur le pied en tentant de la convaincre que c’est elle qui doit se confondre en excuses et courber l’échine.

La Guadeloupe ne s’embrase pas « juste » pour un vaccin…

Non, nous n’avons pas à rougir de recevoir des aides de l’État, au même titre que n’importe quel département hexagonal.

Non, ce ne sont pas VOS impôts d’hexagonaux qui paient ces aides. Ce sont ceux des Guadeloupéens car, SCOOP ! Le système de péréquation qui existe dans l’hexagone est instauré aussi ici.

Alors, de grâce, cessez de recevoir sur vos plateaux des abrutis (oui oui et je pèse mes mots) qui pensent que parce qu’ils sont venus deux semaines en 1995 en Guadeloupe qu’ils y connaissent quelque chose. Cessez de laisser des gens venir nous insulter sur vos plateaux. Cessez de leur donner de l’audience dans vos colonnes.

Nous n’avons pas à nous sentir moins que vous, car ces personnes que vous recevez sur vos plateaux montrent par leur comportement et leurs paroles abjectes qu’ils ne sont pas « plus que nous ».

Comprendra qui pourra.

Mais, taisez-vous donc, bandes de sauvages !

Une Guadeloupéenne en colère Active, Maman et Fatiguée ! »


Glaby via le canal Telegram du Grand Réveil https://t.me/LeGrandReveil 

2 Comments

  • On ne peut-être plus clair pour faire comprendre nos réticences aux injonctions pressantes de l’état français qui a toujours géré ses territoires en restaurant au fil du temps la gestion politique de ses colonies sans donner
    une réponse nette et claire aux problèmes spécifiques qui minent le bien vivre-ensemble. Ainsi livrés à leur seule raison et leur besoin d’équité , ne pensant compter que sur eux-mêmes, les Martiniquais prennent des initiatives radicales jugées déconcertantes par une population pas au fait des véritables problèmes sociologiques pour se faire entendre . Les procédés de contestations peuvent être contestables, mais tout au moins des réponses de circonstances sont données pour ébaucher des réflexions sur la récurrence des problèmes de nos sociétés antillaise qui semblent ne pas être réellement la priorité des autorités gouvernementales.
    C’est à croire que pour se faire entendre il faut user de méthodes anti-conformistes.

    • Méthodes anti-conformistes? Laisser la moitié des routes à des gangs souvent armés?
      Agresser des femmes, piller et brûler des entreprises ?
      Demander depuis le mois d’août l’abrogation d’une loi sans savoir quelle est la procédure pour y parvenir?
      Le résultat ? Une grève générale qui n’a jamais été générale. La peur du lendemain s’est installée dans toute la population, les syndicats se sont decredibilises, l’économie est exsangue et sans l’argent public, elle ne s’en remettra pas. C’est dommage pour ceux comme moi, qui rêvent d’indépendance. L’indépendance oui mais sans révolutionnaires de la fonction publique payés 40% « vie chère » avec statut « emploi protégé ».

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